Martin Heinisch, artiste et navigateur, crée des sculptures et des œuvres d’art à partir de débris plastiques marins pour sensibiliser à la pollution des océans. Son engagement environnemental se reflète dans chaque pièce, mettant en lumière le destin de la faune marine et les effets dévastateurs du comportement humain. Ses œuvres sont exposées à la capitainerie de Saint-Tropez toute la saison. L’artiste partage avec nous son parcours, son inspiration pour l’exposition, et son engagement pour l’environnement à travers son art.
Durant ses années en tant que capitaine naviguant sur les eaux méditerranéennes, Martin a été témoin de l’ampleur et des dégâts de la pollution humaine sur les plages qu’il a visitées. De plage en plage, en ramassant ces déchets, son constat est toujours le même : « Aucune plage n’est épargnée. Des gros objets jusqu’aux microplastiques, les seules plages où l’on en trouve peu sont celles où l’on nettoie tout le temps. Mais cela masque le problème. C’est le mythe de Sisyphe. » confie-t-il. Pour lui, la pollution plastique, très visible, pourrait être rapidement réduite si les consommateurs et les industriels s’engageaient à changer leurs habitudes. Il a donc décidé de lutter activement contre ce fléau.
Aujourd’hui, Martin travaille seul pour collecter ces débris sur les plages méditerranéennes (plus régulièrement celles de la Côte d’Azur) qui vont se transformer en œuvres d’art. Le procédé de l’artiste se veut « simple » sur le principe : ramassage et collecte des plastiques, nettoyage méthodique, séchage, puis tri par couleur dans des bacs. Il affirme que la quantité de déchets est tellement importante qu’il peut couvrir l’intégralité du spectre. Ceci est d’ailleurs la raison pour laquelle il choisit de faire des écosculptures monochromes, car le choix est tout simplement là ! « J’essaie de montrer par mon travail deux choses : la première est la splendeur du monde animal, si méconnue de la plupart d’entre nous. La deuxième est que l’on doit réapprendre à valoriser les objets pérennes, ceux que le commerçant et l’artisan local pourront réparer, ou bien vous, si vous décidez d’apprendre à vous servir de vos mains… » dit-il.
Travailler avec des matériaux recyclés présente des défis. Les composants, parfois usés par les intempéries et le soleil, deviennent fragiles. Leur qualité d’usage n’est pas garantie lors de la réalisation d’une maquette. Lors de la collecte, c’est également le sujet de sécurité et d’hygiène qui prend lieu, dû à la difficulté d’accès à certaines plages et aux conditions dans lesquelles elles sont. Toutefois, ce sont ces mêmes difficultés qui rendent ces œuvres si uniques. Chaque pièce ramassée raconte une histoire et chaque œuvre a une signification particulière.
« Exposer, alerter, intervenir dans des écoles auprès des enfants ; voilà ce qui a une signification particulière pour moi »
Pour Martin, l’art est un moyen puissant de sensibilisation. À travers ses écosculptures, il souhaite transmettre un message clair : la pollution plastique est un problème grave mais solvable. Il espère que son travail incitera les gens à réfléchir à leur consommation et à l’importance de préserver notre environnement. « C’est un moyen très positif de faire passer des messages. Les gens sont inondés de nouvelles alarmantes et stressantes au sujet de l’écologie. L’art permet de toucher le cœur du public, de l’amener à réfléchir et à s’interroger de manière constructive » dit-il.
L’artiste considère que l’art « engagé » prendra une plus grande ampleur dans le futur tant que la problématique de pollution existe. Pour l’instant, il rencontre plusieurs profils intéressés par son art, français comme étrangers, même s’il reconnaît une tendance plus forte chez les femmes.
L’impact de ses œuvres ayant gagné en reconnaissance, l’artiste expose dans un premier temps à Nice en collaboration avec l’artiste Julie Gautier (apnéiste/chorégraphe et réalisatrice de films sous-marins) également engagée dans la conservation des océans. Il participe à plusieurs ateliers écologiques dans le Golfe de Saint-Tropez. En 2024, il expose auprès de l’agence Yachting Concept dont le directeur Jeremy Solodilow est aussi très sensible au sujet de la préservation des océans. Il expose également à la Capitainerie de Saint-Tropez dont la certification « Ports Propres » témoigne de son engagement pour un futur vert.
Avec des projets futurs ambitieux, Martin envisage de continuer à sensibiliser à travers son art et de collaborer avec d’autres artistes et institutions pour promouvoir la protection des océans. Son premier objectif est de trouver un atelier/galerie dans le golfe de Saint-Tropez pour mieux gérer son activité et accueillir des groupes scolaires. En attendant, il continue de ramasser les déchets, de créer, et d’inspirer ceux qui croisent son chemin.
Extrait de l’entretien avec l’artiste
Vous avez choisi d’exposer au Saint-Tropez Lounge Club, le club de la capitainerie du Port de Saint-Tropez. Comment percevez-vous le rôle des ports et des communautés maritimes dans la lutte contre la pollution des océans ?
Ce ne sont pas les seuls évidemment, mais le rôle des ports et des communautés maritimes est crucial dans la lutte contre la pollution des océans. Ils font partie des acteurs majeurs puisque la plupart des usagers de la mer y passent. Il faut donc les guider, les sensibiliser, et leur donner les moyens de ne pas polluer. J’en profite ici pour remercier infiniment la capitainerie de saint-Tropez, du directeur du port jusqu’aux saisonniers, qui tous me soutiennent dans mon projet et ont accueilli avec enthousiasme mes sculptures dans leurs locaux!
La commune est très impliquée dans son engagement pour la protection de l’environnement. Après toutes vos années en tant que capitaine dans la région et aujourd’hui en tant qu’artiste engagé, comment percevez-vous l’évolution de notre littoral sur le plan écologique ?
L’évolution est notable, de plus en plus de choses sont faites. Je vois bien la différence avec d’autres pays lorsque je voyage…
Il reste au demeurant encore énormément de choses à faire. Notamment sur certains sujets qu’il faut prendre en amont. Et je parle ici évidemment de la pollution aux plastiques. Un effort énorme est fait par les communes du golfe pour le nettoyage des plages. Mais le problème continuera de persister tant que l’on agira pas en amont, à grande échelle. Et tant que cela persistera, les océans continueront d’engloutir des milliers de tonnes de déchets que l’on ne voit plus mais qui sont bien là, détruisant insidieusement la vie marine et les écosystèmes. Il faut continuer les efforts de sensibilisation, auprès des personnes âgées jusqu’aux plus jeunes enfants, continuer de faire des tables rondes pour réfléchir aux actions les plus importantes, continuer d’investir financièrement…
Pouvez-vous partager une anecdote ou une histoire particulière sur l'une de vos œuvres ?
Une anecdote drôle qui me vient en tête concerne la peinture…un jour, alors que j’étais en train de peindre, j’avais ma grande table de travail envahie de pinceaux, de chiffons et d’objets divers, et j’étais tellement concentré que j’ai machinalement porté à mes lèvres ma tasse de thé…qui s’est avérée en fait être la tasse dans laquelle je rinçais mes pinceaux !! (elle était assez similaire et était posée juste à côté). Autant dire que j’ai craché très vite !! …puis éclaté de rire…
PORTRAIT DE L'ARTISTE
Martin Heinisch
Parcours d’un enfant curieux à l’artiste engagé.
Une enfance propice à l’éveil de sa curiosité pour la nature
Né le 9 décembre 1976 dans le nord de la France, Martin Heinisch a grandi dans une famille créative et engagée. Son père, ferronnier d’art, et sa mère, professeure de français, ont nourri son goût pour l’exploration et la créativité. Avec un frère pilote, une sœur ethno-musicologue et chanteuse classique, et un autre frère paysagiste très sensible à l’écologie, l’environnement familial a été une source d’inspiration constante.
En 1989, à l’âge de 12 ans, Martin a vécu une expérience marquante en participant à un stage organisé par l’association « La Baleine Blanche », lui permettant d’explorer le monde à bord d’un voilier auprès d’autre enfants. Lors de ce stage, les jeunes participants ont pu se mettre dans la peau de reporters dont le sujet étaient les mammifères marins et les conditions de vie des enfants dans des pays en difficulté (Cuba, Haïti etc.). A cette époque déjà, le jeune Martin donnait vie à sa curiosité et fascination pour la nature en esquissant des dessins d’îles, d’oiseaux ou d’épaves pour ses parents. Cette aventure a été un tournant décisif, éveillant en lui une passion profonde pour les océans et la faune et la flore marine.
Après un parcours scolaire classique, il enchaîne divers métiers et voyages, tout en développant son intérêt pour la peinture et ses talents manuels. Passionné, l’art et l’environnement marin sont toujours présents dans sa vie. Alors qu’il travaille avec les mammifères marins, il achète son premier voilier qu’il décide de restaurer lui-même. Il consacre quatre années à la restauration de son bateau, pendant lesquelles il perfectionne son apprentissage de l’artisanat en lien avec la navigation.
Premiers pas en tant que navigateur écologiste
Alors qu’il restaure son bateau au Port d’Antibes, commence ce qu’il appelle son « histoire avec les poubelles ». L’artiste collecte des petits « trésors » dans les containers de poubelle sur le port et constitue ainsi sa caisse à outils, son stock de bois précieux (teck, acajou) et divers matériaux électriques qu’il démonte et assemble à nouveau pour en comprendre la mécanique.
Sa passion pour l’art s’est intensifiée au fil des ans, mais c’est lors de son travail avec les mammifères marins qu’il a réellement décidé de se consacrer à ses talents manuels. Restaurer un voilier en bois a été l’occasion pour lui d’apprendre les métiers d’artisan, en utilisant des matériaux récupérés dans les poubelles du port d’Antibes.
Capitaine le jour, artiste le soir
Il obtient entre les années 2008 et 2009 son premier diplôme de capitaine professionnel et commence à travailler à Saint-Tropez où il développe un attachement pour la région et s’installe définitivement. Son travail de capitaine le fait voyager dans les eaux Méditerranéennes. Des voyages merveilleux, des paysages à en couper le souffle mais une réalité qui le rattrape rapidement. C’est lors d’un voyage en Turquie puis en Grèce, dépité par la vision des plages idylliques envahies de déchets que l’artiste a une prise de conscience. « J’y suis tellement choqué par la quantité de déchets plastiques que l’on trouve sur les plages reculées ou dans les rochers que je décide de m’impliquer sur ce sujet de pollution dramatique » nous confie-t-il. De retour à Saint-Tropez, il utilise les débris comme matériaux principaux pour ses œuvres. Il a commencé par créer des masques monochromes, puis des sculptures d’animaux marins en 3D qui sont aujourd’hui exposées au Port de Saint-Tropez.